Note sur le mouvement Occupy
Il existe des moments particuliers dans l’histoire au cours desquels des événements en soi peu représentatifs cachent dans leurs plis des potentialités explosives, se révélant seulement par la suite pleinement pour ce qu’ils sont.
Un de ceux-ci fut la manifestation qui eut lieu à Saint-Pétersbourg le dimanche 22 janvier 195, quand des milliers d’ouvriers, rangés pacifiquement derrière des images religieuses, apportèrent une humble supplique au Tsar Nicolas II. Personne ne pouvait imaginer que derrière ces images sacrées il y eût l’ombre menaçante de la révolution qui avançait d’ouest vers l’est et qui dévoilerait peu de temps après toute sa fureur, provoquant dans l’espace d’une douzaine d’années la conquête du pouvoir en Russie par la classe ouvrière.
La dynamique historique, quand elle ne peut faire autrement, procède également ainsi: elle pousse en avant hommes et institutions vers des ruptures inconscientes mais irréparables à l’égard de toute une époque.
Si nous disions aujourd’hui que derrière le mouvement Occupy, né il y a sept mois à Zuccotti Park, agit, quand bien même à l’insu des militants particuliers, rien moins que la révolution mondiale, nous susciterions sûrement de gros rires dans le mouvement antagonique au nôtre, entièrement déséquilibré vers le front idéologique et nu sur celui des résultats pratiques que le mouvement réel est en train d’obtenir. Il est significatif au contraire que la même affirmation provoquerait moins de perplexité à l’intérieur du mouvement américain lui-même: "the only solution is World Revolution" (home page du site occupywallst.org).
La révolution choisit et aligne ses soldats non sur la base de ce qu’ils disent et croient faire, mais sur ce qu’ils font réellement et sont contraints de faire. Du reste il est nécessaire de dépasser d’une certaine manière la force d’inertie constituée par des décennies de paix sociale, de bavardage parlementaire, mystification démocratique et collaboration de classe. Il est nécessaire que soient balayés les résidus idéologiques des époques passées; c’est cette chape de plomb pesant comme un cauchemar sur les perspectives de changement qui est dissoute le plus tôt possible. Les occupiers ont déjà fait des grands pas de géant dans ce sens démontrant qu’il est possible de rompre les vieux schémas organisatifs en se dotant de structures leaderless, c’est-à-dire sans hiérarchies et sans têtes.
Il est naturel que dans un contexte social aussi dépravé et corrompu le besoin d’aller au-delà de l’existant se manifeste de manière indirecte et voilée et surtout loin des modèles et des attentes politiques que nous avons vus et connus. Dans un contexte de ce type l’histoire ne peut que passer par des chemins de traverse, les moins idéologiques possibles, utilisant ce qui se trouve de meilleur à portée de la main. Elle est en train de le faire en s’appropriant de formes agrégatives aux contours indécis pour les transformer en instruments efficaces pour la lutte de classe.
Nous ne nous attendons pas à voir dans cette phase la soudure immédiate entre théorie et pratique. Sur le Vieux Continent les faits ne peuvent pas encore coïncider avec les paroles tant que ne se constitue pas de manière stable, solide et durable un environnement radicalement anticapitaliste, comme celui qui existait au début du siècle précédent à l’intérieur des Bourses du Travail et dans les organisations ouvrières: si l’environnement bourgeois produit individualisme, concurrence et égoïsme, alors on ne peut que saboter cette société infâme, en donnant vie à des communautés destinées à l’envahir entièrement, en coupant les ponts qui nous unissent à des environnements non socialistes. C’est à cet environnement en formation qu’il faut s’intéresser de près, au-delà des proclamations idéologiques des sujets qui en font partie. C’est à la pression que cette community commence à exercer sur les points faibles du capitalisme qu’il faut prêter la plus grande attention.
Peu de mois se sont écoulés entre la révolte en Tunisie et la première grève générale d’Oakland. Les événements se sont succédé à un rythme frénétique : l’écroulement des régimes arabes, les émeutes dans les métropoles occidentales, les manifestations coordonnées dans des dizaines de pays. Les raisons du marasme social sont à rechercher dans les effets néfastes d’un système qui s’écroule sur lui-même. C’est pour cela que l’ensemble du mouvement exprime une force de persuasion qui a manqué à tous les mouvements précédents:
En Egypte peu de mois après les masses ont recommencé à occuper les mêmes endroits où la révolte débuta et à s’affronter avec une détermination plus grande contre ceux qu’elle supportait comme alliés. Les occupations permanentes des places, les assemblées fréquentes et les affrontements continus avec l’appareil d’Etat introduisent des principes d’organisation destinés à faire partie d’un bagage d’expériences accessibles à tous en temps réel. Internet de ce point de vue est un instrument de coordination essentiel. A signaler à cet égard la lettre envoyée par des "Comrades from Cairo" à Occupy et publiée dans The Guardian le 25 octobre 2011: "A tous ceux qui dans le monde sont en train d’occuper parcs, places et autres espaces, vos camarades du Caire vous observent avec un esprit solidaire [...]. Nous sommes en quelque sorte impliqués dans la même bataille. Ce que beaucoup de spécialistes appellent le "printemps arabe" plonge ses propres racines dans les manifestations, dans les révoltes, dans les grèves et dans les occupations qui ont lieu dans le monde entier. Ses fondations sont à chercher dans des luttes de plusieurs années d’individus et des mouvements populaires. Le moment que nous sommes en train de vivre n’est pas nouveau, puisque nous en Egypte et d’autres ailleurs, avons combattu les systèmes de répression, de libération manquée et les dommages incontrôlés du capitalisme global (oui, nous l’avons dit, capitalisme) : Un système qui a rendu le monde dangereux et cruel pour ses habitants [...]. Un génération entière sur tout le globe terrestre a grandi se rendant compte, rationnellement et émotivement, que nous n’avons pas de futur dans l’ordre actuel des choses [...]. La crise actuelle en Amérique et en Europe occidentale a commencé à porter cette réalité même chez vous [...]. Aussi sommes nous avec vous non seulement dans la tentative d’abattre le vieux, mais d’expérimenter le nouveau [...]. Les occupations doivent continuer, parce qu’il n’y a plus personne à qui demander de réforme. [...] soyez prêts à défendre ce que vous avez occupé, ce que vous êtes en train de construire parce que, après tout ce qui a été supprimé, ces espaces sont très précieux".
Nous ne devons pas nous étonner si une partie de Occupy a élevé le refus de la violence en principe, la réalité se charge de dépasser ce pacifisme incohérent, surtout dans une société extrêmement répressive comme celle américaine. Jusqu’à présent il y a eu des milliers d’arrestations et le mouvement dénonce que sur le sol américain la police, armée jusqu’aux dents, se met à lancer des opérations de style militaire destinées à interrompre les protestations pacifiques y compris avant qu’elles se produisent. Un scénario qui rappelle les efforts contre-insurrectionnels des USA en Irak ou en Afghanistan.
La proclamation de la grève générale le 12 décembre 2011, qui a entraîné les ports de la côte occidentale des Etats-Unis, a été un pas décisif vers la radicalisation de la lutte. En effet la mobilisation a été lancée non pour revendiquer quelque chose mais comme une pure et simple représailles contre le système "du 1% qui licencie, affame et ne respecte pas la vie des travailleurs en se comportant de manière antihumaine". A cela s’ajoute l’appel lancé par Occupy Wall Street pour l’organisation d’un Premier Mai Global (Global General Strike on May 1st): "Les médias officiels affirment que la force de Occupy serait en déclin, simplement pour nier l’évidence. Durant les mois les plus froids de l’année, les Etats-Unis ont en fait assisté à la période la plus révolutionnaire des dernières décennies. Durant cet hiver nous avons refocalisé nos énergies sur la promotion des liens avec les communautés locales, protégeant les maisons contre les banques corrompues [...] construisant et élargissant notre infrastructure horizontale. Nous reprendrons encore les rues dans ce Printemps Global". En Amérique il est interdit d’appeler à des grèves générales nationales, la législation fédérale antigrève remonte à 1947 et les entreprises sont garanties par la lois de pouvoir remplacer temporairement ou définitivement des travailleurs qui croisent les bras. Malgré cela, ce jour-là "pas de travail, pas d’école, pas de travaux domestiques, aucun shopping, aucune opération bancaire".
En appeler aux 99% contre les 1% peut apparaître une formulation incertaine, mais elle est en train de devenir un robuste antidote capable de contrarier positivement l’influence idéologique de la classe dominante. Sans compter qu’elle se greffe sur une société où le réformisme ne fonctionne plus et où manquent depuis longtemps les fameuses miettes à distribuer.
Nous saluons par conséquent le Premier Mai, Journée Internationale des Travailleurs, le rappel du massacre de Haymarket survenu à Chicago en 1886, quand alors aussi la police défendait les intérêts du 1% attaquant et tuant les travailleurs qui participaient à une grève générale pour la réduction de la journée de travail. Contrairement à ce que disent les politiques, au XXIème siècle la lutte de classe est vivante et vigoureuse et frappe les travailleurs, avec un emploi ou sans travail.
"Au lieu de transiger sur des compromis avec les monstres, le temps est venu de les combattre" (Occupy Oakland)
Ch86 - Avril 2012